Olivier PERROT et la réhabilitation de l’hypnose classique
Olivier Perrot, président de l’Association Française de Nouvelle Hypnose a récemment donné une conférence à l’ARCHE sur le lien qu’il fait entre l’hypnose thérapeutique d’aujourd’hui et l’hypnose classique.
Dans le cadre de l’AFNH il a aussi organisé une formation « hypnose classique, suggestions directes et transes profondes » où il a invité un hypnotiseur de spectacle, Hervé Barbereau, ainsi que le créateur et animateur du site d’hypnose de rue « Street Hypnose », Jean-Emmanuel Combe. L’un de nos auteurs, JD Paoli était présent lors de cette formation. Il nous livre l’entretien qu’il a eu avec Olivier Perrot à cette occasion.
JD Paoli : Olivier Perrot, vous êtes président de l’AFNH, vous avez été l’assistant, pendant les dix dernières années de sa vie, de Jean Godin qui a créé dans les années 80 le premier Institut Milton Erickson en France, et vous êtes considéré comme son successeur.
Cela vous a valu de rencontrer les plus grands ericksoniens, Rossi, Haley, Watzlawick, Zeig, etc…
Avec cette formation à l’hypnose classique, vous réhabilitez certaines techniques d’hypnose directe. Vous aimez jouer du paradoxe ?
Olivier Perrot : Votre question revient à me demander si je trahis l’héritage de Jean Godin en particulier, ainsi que l’héritage des ericksoniens en général ! En fait, ma vie est tournée vers l’ouverture, je me considère comme un voyageur qui sort de ses frontières d’origine pour rencontrer d’autres cultures. Pour cette raison, je conduis l’AFNH comme une association ouverte à des idées différentes. Je propose régulièrement des échanges avec les autres associations d’hypnose et de thérapie. J’essaie de faire bouger les lignes.
En ce qui concerne Jean Godin, son héritage est aussi celui d’un homme qui a fait déplacer les murs des chapelles. Quand, au début des années cinquante, il présente sa thèse de médecine qui a pour thème « La relaxation », il n’est pas loin de se faire chasser de la Faculté. Il fallait oser à l’époque.
Quand, plus tard, il introduit les méthodes thérapeutiques originales d’un médecin hypnotiseur américain inconnu en France, Milton Erickson, il fait preuve d’une sacrée ouverture d’esprit !
Par ailleurs, bien que transmetteur en France de la pratique ericksonienne, Jean Godin reconnaissait des vertus aux suggestions directes, notamment dans le domaine de la douleur. Et s’il n’a pratiqué que l’hypnose ericksonienne, c’est certes par adhésion totale à cette méthode, mais c’est aussi parce que l’hypnose avait besoin de respectabilité face à l’hypnose pratiquée sur les scènes de spectacles.
JDP : la suggestion directe, c’est le diable ?
OP : Aux yeux d’une partie des tenants du dogme ericksonien, certainement. Or, on n’a retenu de la pratique d’Erickson essentiellement les suggestions indirectes et encore plus les suggestions ouvertes ou activatrices comme la métaphore. C’est oublier que pendant longtemps il a pratiqué une hypnose directe, et qu’il ne s’en est jamais totalement détaché. Il était très directif, par exemple avec ses prescriptions de tâches thérapeutiques. Quand il utilise la lévitation du bras, c’est une technique directive, pratiquée en pleine période de l’hypnose directe par Bernheim et Liébault.
Lors d’une formation à Toulouse, des étudiants en DU d’hypnose m’ont dit que l’utilisation de la suggestion directe y est fortement découragée. Malheur à l’étudiant qui s’en prévaut le jour de l’examen ! En refusant ainsi ce type de suggestion directe, on se prive d’une part essentielle des ressources du langage hypnotique.
Ce n’est pas parce que les hypnotiseurs de spectacle l’utilisent qu’elle doit être bannie. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : si les hypnotiseurs de spectacle, qui ont une obligation de résultat immédiate, pratiquent la suggestion directe, c’est qu’elle est très puissante.
J’ai pris l’habitude de dire qu’il existe une moitié du temps où Erickson est très directif, une seconde moitié du temps où il est dans les subtilités de langage, et comme c’est Erickson il existe une troisième moitié du temps où il nous reste encore à comprendre comment il s’y prend.
JDP : A vous entendre, on a l’impression que vous êtes à l’étroit dans les habits ericksoniens.
OP : Détrompez-vous, je reste fidèle à la pratique ericksonienne. Je pense seulement que la lecture que nous en avons doit se montrer plus souple, s’adapter. D’autre part, le bourlingueur des pratiques thérapeutiques que je suis a fait des constatations peu agréables : certaines pratiques sont loin d’aller dans le sens du client/patient.
JDP : Est-ce à propos de ces pratiques que vous utilisez le mot « calinothérapie » ?
OP : Oui, j’ai employé sciemment ce mot. Qu’ai-je souvent constaté ?
Que des stagiaires, pourtant thérapeutes installés, manquent de confiance en eux, osent peu, sont timorés par crainte de mal faire. Or le seul moyen de ne pas faire d’erreur, c’est de ne rien faire…
Que bon nombre de thérapeutes pratiquent une hypnose très très douce, se réfugient derrière la métaphore et la relaxation, se rassurent en disant pratiquer « l’hypnose conversationnelle ».
Qu’alors qu’ils sont dans des annuaires d’hypnose, au bout de 10 rencontres, le patient n’a pas encore eu le droit à la moindre séance d’hypnose. C’est la pizzeria où on ne peut pas commander de pizza…
Que certains praticiens n’ont jamais touché à un patient ! Lors d’une formation en Suisse, j’ai pu constater que la moitié des professionnels présents n’utilisaient pas la catalepsie du bras alors que c’est un effet très utile qui démontre au patient sa capacité à fonctionner sous hypnose.
JDP : Si je comprends bien, vous reprochez aux hypnothérapeutes un…manque d’hypnose ?
OP : Tout à fait. Cela conduit à des patients frustrés qui ressortent du cabinet avec l’impression de ne rien avoir vécu du tout, qui ont le sentiment de ne pas avoir bénéficié d’une « vraie » hypnose.
JDP : Une vraie hypnose ?
OP : Relaxation + métaphore, ce n’est pas de l’hypnose. Les patients d’aujourd’hui ont une idée de ce qu’est l’hypnose, idée d’autant plus précise que l’hypnose est présente de plus en plus fréquemment à la télévision, sur internet, dans les médias en général. Quand ils poussent la porte d’un immeuble au fronton duquel figure le mot hypnose, ils savent où ils vont. Quand un patient se présente dans mon cabinet, je me dis qu’il vient pour avoir de l’hypnose…et je vais faire en sorte qu’il en ait sauf s’il présente une contre-indication type psychose ou si une autre approche me semble plus profitable pour lui ! Assumons, prononçons le mot, ne nous privons pas du mot « hypnose » en thérapie ! Des études récemment relayées par Antoine Bioy ont d’ailleurs montré qu’on perd de l’efficacité si on remplace le mot hypnose par le mot relaxation.
JDP : Voulez-vous dire que les patients veulent avant tout que leur traitement commence par un état hypnotique, une transe bien visible ?
OP : Ou tout du moins qu’ils aient au moins l’impression d’avoir vécu quelque chose. Tout comme au théâtre où à chaque représentation il doit se passer quelque chose, il est important qu’à chaque séance de thérapie le patient ait vécu quelque chose. Bien évidemment une anamnèse sérieuse est souvent nécessaire, mais si elle s’étale sur 10 séances, ce n’est plus une hypnothérapie. C’est bien l’hypnose sans transe apparente, voire même l’hypnose sans hypnose, mais l’hypnose avec transe ne doit pas être oubliée.
JDP : La formation que vous venez de dispenser concerne aussi les transes profondes. Sont-elles nécessaires en thérapie ?
OP : De manière générale, l’hypnose ericksonienne ne s’intéresse pas vraiment à la profondeur de la transe. Alors les thérapeutes travaillent avec des états hypnotiques très légers, ce qui est suffisant dans un certain nombre de cas mais qui risque de ne pas l’être dans d’autres. Des états légers ne permettent pas de tout traiter en hypnothérapie, notamment dans le domaine de la douleur.
JDP : Ces critiques que vous formulez ne remettent-elles pas en cause le contenu de bon nombre de formations ?
OP : Nous nous sommes lancés avec un certain nombre de collègues directeurs d’écoles, dont Kevin FINEL dans cette réflexion : qu’est ce qui nous semble faire la qualité d’une formation à l’hypnose. Je ne critique pas les formations existantes, je propose des compléments, des approfondissements…
JDP : Revenons à votre formation à l’hypnose classique qui vient de se terminer. Après avoir invité l’hypnotiseur de spectacle Hervé Barbereau l’an passé, ce qui avait donné lieu à une polémique, vous l’avez à nouveau sollicité cette année. De plus, vous avez demandé à Jean-Emmanuel Combe, chantre de l’hypnose de rue, créateur et animateur du blog « Street Hypnose », de venir dispenser son savoir-faire. Ne risquez-vous pas à nouveau de subir les foudres de ceux qui vous avaient critiqué l’an passé ?
OP : Je suis en accord avec mes objectifs de formation qui sont d’une part de donner aux thérapeutes les moyens d’avoir confiance en eux, tout en les munissant d’outils rapides et efficaces et d’autre part de permettre aux patients de vivre l’hypnose, tout en gagnant du temps et un nombre moindre de séances.
Barbereau ne vient pas nous apprendre des effets de music-hall, mais nous montrer combien ses techniques sont rapides et puissantes.
JDP : Mais Barbereau ne cache pas qu’il choisit ses sujets
OP : Certes. Mais avez-vous remarqué que près de 30 % des participants au stage étaient très réceptifs ? Dans une clientèle, le pourcentage est peu ou prou le même. Pourquoi passer une demi-heure à mettre ces personnes là en transe alors que ça peut être fait en quelques secondes ? Alors si nous pouvons aider durablement, en suggestion directe et en quelques minutes une personne à changer, faisons-le. Prendre 4 séances là où une suffit, est-ce réellement éthique ?
J’entends bien que l’on me parle d’éthique. Mais l’éthique, n’est-ce pas le souci du bien du patient ? Deux, trois séances où le patient vit vraiment une transe hypnotique, n’est-ce pas mieux qu’une dizaine, de surplus ennuyeuses ?
JDP : Soit, mais il reste 70% de patients qui ne sont pas éligibles à ces méthodes directes ?
OP : C’est la raison pour laquelle j’ai aussi invité Jean-Emmanuel Combe. Je ne le connaissais qu’à travers la qualité de son blog. Je savais qu’avec ses copains toulousains ils partent dans les rues, proposant à qui le veut bien de vivre une expérience hypnotique. Pour eux, la rue est un vrai laboratoire d’hypnose. De leurs expériences, ils ont tiré une pratique que J-E est venu nous exposer. Une pratique qui permet, puisque vous parlez des 70% de patients moins suggestibles, de contourner les résistances tout en favorisant un apprentissage progressif des différents phénomènes hypnotiques. Et tout en sachant être ericksoniens lorsque c’est nécessaire.
Pendant plus de trois heures, il nous a expliqué et démontré cette pratique. Il l’a fait avec talent et pédagogie : vous avez pu remarquer avec quelle attention les participants, tous professionnels de santé, ont suivi cet exposé et avec quelle chaleur ils l’ont applaudi ensuite.
Et l’on voudrait qu’au nom d’un dogme, d’ancrages négatifs sur le mot « direct », ou encore parce qu’il n’est pas professionnel de santé on laisse sur la touche un jeune homme de cette qualité, lui et son savoir-faire ? Ce serait absurde.
JDP : Une induction rapide ne risque-t-elle pas d’entraîner des résistances ?
OP : Bien au contraire, l’induction rapide va permettre de contourner des résistances. C’est pour un certain nombre la meilleure clé pour enfin lâcher prise. Maintenant c’est justement à nous cliniciens d’avoir une boite à outils bien remplie afin de pouvoir s’adapter à chaque patient. Indubitablement cet outil est celui qui manque à bon nombre de praticiens…
JDP : Vous ne craignez pas que l’on vous qualifie d’hérétique ?
OP : Si l’on s’en tient à tout ce que je viens de vous dire, et seulement à ça, bien sûr je ne me fais pas que des amis. Mais je n’ai fait que montrer un manque d’ouverture, pointer des dérives. Je reste bien clairement fidèle à l’héritage de Milton Erickson. Et je cherche aussi à rapprocher les écoles, à profiter des recherches et innovations des autres courants de pensée de l’hypnose.
Je vous l’ai prouvé à la fin de cette formation. J’ai fait découvrir l’état hypnotique à bon nombre de participants, y compris des plus résistants, à travers un effet d’hypnose de scène, la catalepsie entre deux tables, au moyen d’une méthode des plus ericksoniennes !
Vous avez pu voir les visages rayonnants de ceux et celles qui avaient ainsi constaté que leur corps peut tenir horizontalement entre deux supports, tout en restant souple, et tout en ayant une respiration ventrale complètement détendue.
Et puis n’oublions pas qu’Erickson fut qualifié d’hérétique bien avant moi, tout comme Freud ou Galilée… et pourtant elle tourne.
JDP : quels sont les enjeux de l’hypnose aujourd’hui ?
OP : Les choses ont très rapidement évolué ces dernières années. La France est le pays qui a abrité les deux premiers âges d’or de l’hypnose, avec Mesmer d’abord au XVIII, puis Charcot et Bernheim au XIX. Par contre au XX nous avons totalement raté la troisième révolution celle d’Erickson. Probablement à cause de l’importance de la psychanalyse chez nous, l’hypnose a été victime d’un rejet important de la part des scientifiques. Lorsqu’enfin Jean Godin propose les premières formations à l’hypnose éricksonienne, Milton est décédé depuis 3 ans, et il a vécu jusque 80 ans…Aujourd’hui l’hypnose explose, elle est très à la mode et nous rattrapons le retard à marche forcée. Mais n’importe qui peut se former. Et avec l’hypnose de rue justement, elle devient vraiment à la portée du premier venu. Est-ce une bonne chose ? Je suis loin d’en être persuadé. D’un autre côté faut-il réserver la formation aux seuls professionnels de santé ? Encadrer les formations voilà qui me semble être l’enjeu principal de l’hypnose.