Le Magazine de l'Hypnose et des Neurosciences

 
 

 
A voir
 

 
3
Posté 16 mars 2013 par Kevin Finel dans Accompagnement et Thérapie
 
 

L’hypnotiseur, un sorcier moderne

L'Hypnotiseur, un sorcier moderne ?
L'Hypnotiseur, un sorcier moderne ?

Notre monde est un monde qui se veut rationnel, dans lequel la conscience s’est vue attribuée un rôle dominant et une fonction de contrôle. Idéalement, nous serions des êtres logiques, capables de prendre des décisions et de nous construire à partir d’une analyse pragmatique, en fonction de paramètres rationnels, quantifiables.

Nous devrions alors être en mesure de choisir nos comportements et nos réactions, de canaliser nos émotions et de jongler avec nos capacités, n’est-ce pas ?

Or, nous constatons au quotidien que ce n’est pas le cas : notre capacité d’action est très faible sur ces terrains.
Tout cela est géré en nous à un niveau inconscient, et s’avère difficilement accessible pour notre volonté : une personne peu rationaliser autant qu’elle le veut une peur ou encore une attirance, décider qu’elle est absurde ou illogique… de tels raisonnements sont balayés en un instant quand une émotion se présente.
La question est donc : comment atteindre ce qui nous échappe, comment agir sur la partie la plus inconsciente de notre être ?

La réponse n’est pas, à ce qu’il semble, dans la surenchère de logique ou de contrôle.
Sans doute serait-il plus pragmatique d’aborder notre inconscient comme nous aborderions une autre culture en ethnologie : en rentrant dans son fonctionnement, dans « sa » logique, sans jugement aucun, en l’explorant de l’intérieur, à partir de ses mécanismes et de ses fonctionnements.

Peut-être qu’alors nous pourrions comprendre d’une autre façon les « sorciers » et autres mystiques des traditions anciennes.
Peut-être que leur pratique n’était pas – contrairement à ce qui est souvent énoncé – un simple amalgame de superstitions naïves et archaïques, mais au contraire, une tentative de compréhension et de représentation de notre monde inconscient, et surtout une façon d’entrer en contact avec lui.
Peut-être qu’alors, rituels et autres mises en scène, peuvent apparaître comme d’habiles moyens de communication avec la partie la plus profonde, la plus inconsciente de notre être.
Il semble même que les progrès dans la compréhension de nos mécanismes cérébraux et de nos comportements pourraient nous aider à adapter ces intuitions ancestrales à notre société moderne, et même, soyons ambitieux, à les améliorer.

Enfance, raison, blocage : le contexte qui oblige l’hypnose….

Dans ses premières années un enfant est une véritable machine à apprendre. Il est naturellement curieux et réceptif. Cette première forme d’éducation ne passe pas par le filtre de la conscience, par les pensées ou encore l’analyse : un enfant absorbe sans se poser de questions.
De façon intuitive, il passe par l’imitation pour apprendre, et évoluer, et donc par le corps et le ressenti, plus que par la raison : c’est en reproduisant des gestes, des mimiques, que nous avons appris par exemple à nous servir de notre corps et en imitant des sons que nous avons commencé à apprendre notre langue maternelle.
A ce stade, une enfant est flexible : il apprend et désapprend, crée de nouveaux comportements et en abandonne d’autres chaque jour. Il n’a pas d’à priori et, pour lui, le concept d’échec n’existe pas : un enfant tombe et se relève sans se poser de question… surtout si il y a quelque chose d’intéressant à attraper devant lui !

Puis, arrivent la pensée, la logique et la raison. C’est un autre mode de fonctionnement qui commence alors se développer. Un mode fortement privilégié et encouragé : nous sommes dans une culture qui dope notre développement conscient, tout en laissant de côté ou même en dénigrant notre fonctionnement inconscient.
Pire encore, nous apprenons le plus souvent à nous méfier de nos émotions, à les considérer comme étant dangereuses : il est de bon ton pour un honnête homme de les refouler, de les ignorer.

Malheureusement, cette frontière qui s’installe entre nos fonctionnements conscients et nos fonctionnements inconscients est à l’origine d’un véritable cercle vicieux :
Quand une émotion « négative » se présente, ou bien qu’un comportement n’est pas/ n’est plus adapté, la conscience cherche à le maîtriser et à répondre avec la pensée logique. Cette réponse sera souvent partielle ou inadaptée, créant de la frustration, de l’impuissance et, au final, une situation qui contraint à la remise en cause… ou au blocage !

Prenons un exemple : combien de personnes tentent de répondre à une compulsion alimentaire par un régime ? C’est une réponse consciente, en apparence logique au problème qui se pose. La conscience évolue dans un monde qui se veut rationnel, où le poids est une question de calories. Elle cherche des liens de cause à effet qu’elle peut identifier et quantifier.
Mais, le résultat est prévisible : ceci ne fait bien souvent qu’aggraver le problème. Les régimes « yoyo » finissent par dérégler le corps, par l’affaiblir, tandis qu’à chaque tentative, le poids augmente encore et encore comme pour signifier à la conscience qu’elle se trompe de voie.

Pire encore : plus une personne investi en temps, en argent, et en énergie dans cette logique, plus il lui est difficile de la remettre en cause ou de l’abandonner ! Ce serait avouer que la logique ne suffit pas, et que tous ces efforts ont été inutiles et vain, et surtout ce serait se confronter à l’inconnu, à cette partie inconsciente qui contrôle réellement les réactions, les envies et les émotions… ce qui peut être effrayant, on peut le concevoir, pour une personne qui s’est coupée de cela.
Se construit alors une résistance au changement… C’est le fameux « je veux changer mais ne touchez à rien ! » bien connu des professionnels de l’accompagnement. La conscience se crée un bastion inaccessible et se coupe plus encore de ce qui vient de l’inconscient… elle ne rêve plus, elle survit.

Quand il faut faire appel aux mystères…

Il faut donc franchir les obstacles, lever les résistances, créer un pont vers l’inconscient, qui seul est capable de générer un changement complet, acceptable et durable…
Comment ? Par la sorcellerie bien-sûr ! Sorcellerie… dans le sens d’un système organisé d’outils permettant de fissurer la vision consciente du monde et d’ouvrir d’une certaine façon la porte vers l’inconscient.
Et c’est sans doute le même constat qui a mené, dans de nombreuses traditions, la création de systèmes destinées à altérer l’état de conscience, et dont l’hypnose n’est que la variante moderne et occidentale.

En voici les grands principes :

1 : Le prétexte

Il faut se souvenir que l’hypnotiseur est avant tout un prétexte : il n’est pas « normal » de changer facilement dans notre monde, aussi, il faut une occasion particulière, un contexte unique, une excuse pour lâcher prise et justifier envers soi – mais aussi envers le monde extérieur, ses proches, ses amis… – un changement de comportement, d’identité.
L’hypnotiseur incarne cette excuse, comme l’ont fait ou le font toujours, le sorcier, le shaman, où même le philosophe et le psychanalyste.
Dans cette perspective, l’hypnotiseur incarne le changement : il offre une occasion de perte de contrôle.

2 : Le contexte

Dans de nombreuses traditions, la métaphore d’un « second monde » est donnée, le monde du rêve, la seconde intention, le monde des esprits… les métaphores sont nombreuses pour le décrire et chaque tradition a la sienne. Il s’agit à chaque fois d’inventer un lieu, un contexte dans lequel la logique n’existe plus et où le rêve est permis. Un monde symbolique où règnent l’association d’idée, la métaphore, et la prise de conscience.
C’est le monde du rêve : un endroit qui invite celui qui y pénètre à lâcher-prise car il ne peut que constater son incapacité à maîtriser et à comprendre ses rouages… il ne peut que sentir, ressentir, découvrir et être dans la curiosité.
Un monde où l’imaginaire est roi et dans lequel une personne se reconnecte, enfin, à la logique de l’enfance.
L’hypnose s’inscrit dans cette tradition : la métaphore de l’inconscient est son socle créatif : on amène le sujet hypnotisé à pénétrer dans cet « autre lui-même », se lieu où tout se crée, cette partie cachée de nous, capable de nous comprendre, de nous connaitre, de nous changer…. L’idée est même séduisante pour notre logique : ce qui nous dépasse se trouve dans l’inconscient, et cette partie inconsciente de nous contrôle nos mécanismes… c’est donc en allant vers elle que les solutions peuvent apparaître !

3 : Raconter une histoire…

Le contexte est posé…encore faut-il pouvoir entrer dans ce 2e monde ! C’est ici que se développent nos « artifices », notre mise en scène. Car une personne qui est dans ses résistances ne va pas y rentrer facilement, même si elle le désire. Elle a besoin de confiance et a souvent des peurs à dépasser pour ouvrir la porte à cet part inconnue d’elle-même. La forcer ne servirait à rien et serait même dangereux : l’hypnose de spectacle peut se le permettre car elle se présente comme un divertissement… quand il s’agit d’accompagnement, il convient d’être prudent et précis, progressif.

Le sorcier a cet avantage qu’il est lui-même perçu comment étant entre ces deux mondes, comme pour nous y inviter… et pour cela, il nous raconte une histoire…
Il va mettre en scène son interaction avec celui qu’il guide. Il doit pour cela aller le chercher dans son monde et ensuite, méthodiquement, il va commencer à fissurer sa vision habituelle.
Il part donc de ce qu’il observe, du présent, pour bousculer ensuite les repères.
C’est ici l’outil bien connu des hypnologues : « pacing – leading ».
C’est l’emploi de la ratification, de la reformulation, du questionnement…
C’est Socrate qui feint d’être en accord avec son interlocuteur pour, de l’intérieur, poser une question qui fera l’effet d’une véritable « bombe mentale ».
C’est Richard Bandler qui « devient » son interlocuteur par la synchronisation pour le « ferrer » et l’entrainer ensuite dans un mécanisme de recadrage.
C’est le sorcier de Castaneda qui joue l’homme ordinaire et rassurant pour ensuite changer de personnalité et devenir imprévisible…

4 Mise en scène et rituel.

L’hypnose devient alors un art de la communication. Nous sommes ici proche de l’art du conteur ou même de celui du poète : le sorcier raconte ses histoires autour d’un feu, la nuit – période qui déjà invite à baisser la garde, à entrer dans une vision onirique. Il utilise pour cela un rituel, qui joue un rôle de déclencheur. Ce rituel peut-être symbolique, mais il donne un message fort : quelque chose commence ! Le contexte est posé !
Rituel et histoire introduisent aussi la notion de progression, mais dont la nature échappe souvent à celui qui y assiste : il devient alors troublant de savoir qu’il y a une logique, mais qu’elle n’est pas compréhensible. La curiosité est une tendance forte, elle se mue en impatience quand elle est stimulée fortement, et tout cela est au service du sorcier : le désir, la curiosité et l’impatience permettent de dépasser les résistances formées par les différentes peurs. Tout cela nous ramène encore une fois vers les mécanismes de l’enfance !

La personne hypnotisé sait que le « rituel » commence quand elle s’assoit devant l’hypnologue, elle sait – imagine – que ce rituel passe à une étape cruciale quand on lui demande de fermer les yeux, ou encore quand elle sent que certaines suggestions commencent à modifier quelque chose en elle. Elle ne peut s’empêcher d’aller plus loin quand l’hypnotiseur / metteur en scène fait monter son envie ou sa frustration… elle rentre alors complétement dans l’état d’hypnose, de rêve : dans le rituel.

5 Un monde de croyance et de manipulation…

Le sorcier doit maintenir un certain niveau d’inconfort, d’instabilité pour éviter que la conscience ne reprenne ses droits trop vite et viennent freiner le processus de changement. Il existe de nombreuses façons d’y parvenir, mais souvent, cela passe par une capacité pour le sorcier à être imprévisible, inattendu.
Il déstabilise, remet en cause, use de la confusion, d’un langage métaphorique, il sature la conscience… ce sont tous les outils que nous connaissons bien en hypnose et qui forment la base de notre pratique. Ils ont souvent été perçus comme des outils de manipulation – avec cette connotation moderne peu flatteuse, souvenons-nous de la discrimination des sophistes… par Socrate lui-même -
Pourtant, cette « manipulation » est obligatoire pour contrer une autre manipulation : celle du mental, qui fige, qui retient… elle est en fait bien plus une dé-manipulation visant à amener une personne à retrouver une capacité de remise en cause, un esprit critique quant à elle-même !

Le but de tout ce « jeu » est, simplement, d’aider une personne à considérer que ses croyances conscientes ne sont que des croyances, des possibilités, et qu’en les dépassants, elle va pouvoir, si elle le souhaite, en choisir d’autres, plus adaptées et surtout plus intéressantes.

6 Retourner la question

Bien souvent, le sorcier ne donne pas de réponses, il n’a pas à en donner : on attend de lui qu’il pose les bonnes questions, qu’il crée le contexte idéal, mais pas qu’il dirige ou qu’il prenne le pouvoir : il n’est qu’une porte, et jamais un donneur de leçon où un gourou.
Quand on pose une question au sorcier, il répond par une autre question… jamais de réponses, juste d’autres questions ! Bien entendu, cela peut sembler frustrant, et souvent les « sages » sont caricaturés sur cette façon de procéder… pourtant c’est une question d’éthique avant tout : donner une réponse limite, poser une question favorise la prise de conscience !

7 Le dénouement

Toute histoire a une fin, et le sorcier, même si il ne délivre pas de conseils ou de réponse, se doit de favoriser l’atteinte de l’objectif, du changement désiré par son interlocuteur. Il dispose pour cela de plusieurs outils, dont le principal est ce qu’aujourd’hui nous appellerions le « story-telling ».
Les récits proposés par le sorcier vont transformer celui qu’il guide en héros de sa propre histoire. Il doit l’aider à trouver ses ressources, à se poser les bonnes questions, il incite son inconscient à créer de nouvelles possibilités. Ce sont les protocoles de l’hypnotiseur, qui ne sont, en fin de compte que des trames d’histoires favorisant une montée dramatique dont le point d’orgue est le changement.

Souvent, il y a alors amnésie, au moins partielle : la conscience ne veut pas toujours se souvenir de tout ce qu’elle a traversé pour atteindre son but. Tout comme elle oublie volontiers certains rêves au réveil, elle laissera l’expérience se « dissoudre » pour n’en garder que quelques bribes. Parfois même, le changement semble si naturel que certains oublient qu’il a pu en être autrement un jour… Le sorcier / hypnologue se retire alors, en toute discrétion, et disparait. Il n’aura été qu’une ombre traversant avec discrétion et humilité la vie de son interlocuteur…

Aujourd’hui, le sorcier est donc devenu hypnologue, ou « mieux » encore, psychothérapeute, coach, manager…
Il tisse ses histoires à partir du monde dans lequel il vit, monde qui lui apporte un nouveau socle pour créer du récit : sciences sociales, psychologie, cybernétique, neurosciences…
Ces « nouvelles » disciplines lui offrent des possibilités inespérées : il a pour la première fois une explication logique et scientifique à ses rituels, à ses intuitions. Il peut mieux que jamais les analyser, et même les affiner !

En fait, il n’a sans doute jamais eu autant de possibilité pour exercer son art…
Maitriser ces outils, devenir un hypnologue accompli est sans doute un des plus beaux défis qui puisse être aujourd’hui.


Kevin Finel

 
Avatar de Kevin Finel
Praticien en hypnose, coach et formateur en hypnose classique et éricksonienne, enseignant en PNL, Kevin Finel partage aujourd'hui son activité entre les consultations individuelles, son activité de formateur et la direction de l'A.R.C.H.E. , école formant chaque années de nombreux praticiens en hypnose. Dans son approche fortement inspirée par le travail de Milton Erickson et de Richard Bandler, il réunit dans ses formations les principaux courants d'hypnose afin de proposer un enseignement aussi complet et abouti que possible. Il intervient depuis 2008 à l'université de Paris 8 dans le cadre du D.E.S.U. de thérapie systémique et familiale et depuis 2010 dans le D.F.S.U. de psychopathologie clinique. Il enseigne aussi régulièrement dans différentes écoles de psychothérapie et de commerce (communication et pédagogie). Il est aussi le co-fondateur avec Frédéric Zenouda de la web télé "des maux et des mots".