Le Magazine de l'Hypnose et des Neurosciences

 
 

 
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Posté 15 mars 2013 par Antoine Garnier dans Articles
 
 

La Résistance selon Milton Erickson

Le jeu d'échec
Le jeu d'échec

Le Monarque de l’Océan, 1ère partie

C

‘est lors d’un colloque médical sur le bateau de croisière Ocean Monarch que le psychiatre américain Milton Erickson (1901-1980), champion de l’hypnothérapie médicale au XXème siècle, a donné une conférence sur l’usage de l’hypnose en psychiatrie qui fut tout à la fois un cours riche et limpide, un florilège généreux d’exemples édifiants, et la démonstration subtile et élégante d’une véritable séance d’hypnose collective à l’intention de son auditoire.

Par chance, cette conférence a été enregistrée et retranscrite par l’un de ses collaborateurs tardifs, Ernest Rossi, et toujours disponible en cassettes audio.

Plutôt que de paraphraser l’ensemble de la conférence, qu’il serait alors plus utile de traduire, je vous propose de nous laisser guider par les grands thèmes qu’il aborde et qui sont les clefs d’un usage subtile de l’hypnose dans une psychothérapie pro-active centrée sur le patient. Notre voyage à travers cette conférence se fera donc autour de deux grands axes :

  • 1er article : la notion d’ « utilisation » comme solution à la résistance ;
  • 2nd article : le double niveau de communication et de thérapie conscient/inconscient.

Cette deuxième étape nous permettra de nous attarder sur les stratégies de psychothérapie d’Erickson et son art de la communication indirecte notamment à travers la démonstration qu’il en donne tout au long de cette conférence en s’adressant de manière subliminale aux « inconscients » de ses auditeurs.

Mais c’est à la question de la résistance, à l’hypnose ou à la thérapie, largement et brillamment traitée dans cette conférence, que nous nous intéresserons dans ce premier article. Cette question est plus généralement celle de la relation de confiance indispensable à la thérapie et à l’induction de l’hypnose. Et, outre une méthode de stratégie redoutable que nous analyserons, l’arme douce favorite d’Erickson consiste, comme le prescrivait déjà Bernheim en son temps, à utiliser ce qui existe, ce qu’apporte le sujet, et même ses résistances.

Une relation de confiance

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a première chose à faire pour le médecin en contact avec son patient, nous dit Erickson, est d’établir un « rapport conscient ». La question de l’hypnose est déjà familièrement associée à la notion de rapport depuis bien longtemps et Ivan Pavlov en a modélisé le fonctionnement. Il s’agit de cette relation bien particulière que « celui qui est endormi » conserve avec « celui qui l’a endormi », ce fil d’Ariane qui, même au plus profond de sa transe ou de son sommeil, le laisse suspendu aux instructions de celui qui devient son guide, le conducteur du véhicule dans lequel il voyage. On a longtemps cru qu’il s’agissait d’une obéissance avant de comprendre que le rapport hypnotique repose avant tout sur la confiance et sur le fait d’accepter au fond de soi de jouer le jeu sincèrement.

Il s’agit de poser les bases d’une relation où les rôles de celui qui guide et de celui qui accepte d’être guidé sont clairement établis

Ce rapport s’élabore bien souvent sans que la personne hypnotisée ne fasse d’effort dans ce sens. Elle ne se force pas à se soumettre de gré à l’hypnotiseur. Cela se déroule en deçà de se perspicacité consciente, sous cette ligne de flottaison des choses que nous prenons le temps de percevoir, sous la surface de notre attention, ou disons simplement : inconsciemment. Voilà pourquoi Erickson étonne ici en disant que la première chose à faire est d’établir un rapport conscient. Qu’est-ce à dire ? En terme un peu brutaux, on dirait qu’il s’agit de faire comprendre « qui est le chef ». Disons plus exactement, qu’il s’agit de poser les bases d’une relation où les rôles de celui qui guide et de celui qui accepte d’être guidé sont clairement établis.

Bien qu’Erickson insiste souvent, paradoxalement, sur l’importance pour le thérapeute de se laisser guider par son patient, ici il est tout-à-fait clair : faites savoir au patient que c’est son intérêt qui prime pour vous et que vous utiliserez l’hypnose seulement si vous pensez que cela aidera. En tant que psychiatre exerçant la psychothérapie, Erickson refusait que le patient se mette dans la position de prescrire sciemment la méthode à utiliser pour son soin.

En disant cela, Erickson semble s’adresser à son auditoire de médecins, parfois excessivement enthousiasmés par l’idée d’intégrer l’hypnose à leur pratique et semble leur dire : ce n’est qu’une option, un outil, et que vous réserverez pour les seuls cas où c’est vraiment approprié.

Le droit de garder le silence

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lus tard dans la conférence, Erickson répond en quatre points à la question : à quoi l’hypnose peut-elle être utile en psychiatrie et en psychothérapie ? Et sa première réponse est qu’elle sert précisément à créer le rapport. Bien plus efficacement qu’en essayant de l’en convaincre par des arguments, le thérapeute montre au patient qu’il peut lui faire confiance, à travers l’expérience de l’hypnose. Après une simple transe hypnotique, la discussion repart sur des bases propices à en faire bien plus qu’un bavardage de comptoir : une véritable psychothérapie. C’est probablement la raison pour laquelle Erickson précise qu’il commence généralement ses séances par de l’hypnose, puis passe la deuxième moitié du temps à discuter. Il « connecte » dans une relation forte ses mots à l’entendement profond de son auditeur afin que ce qu’il dise par la suite ne tombe surtout pas dans l’oreille d’un sourd.

Et le Dr Erickson décrit une méthode propre à faire naître chez son patient une confiance sincère à son endroit :

« Pour se faire, je pose en général aux patients en transe hypnotique une question à laquelle je sais qu’ils ne devraient pas répondre à cet instant. Je pose la question, et avant même qu’ils puissent y répondre, je leur fais remarquer que ce n’est sûrement pas le bon moment pour répondre à cette question et qu’ils peuvent ne pas y répondre avant que ce soit le bon moment pour cela. Ensuite je leur demande de penser à ce que je viens de dire. En conséquence, ils réalisent qu’ils peuvent répondre librement et facilement mais qu’il n’y a aucune obligation de répondre à une question avant que ça ne soit le bon moment pour cela. Je l’explique clairement au patient à l’état d’éveil aussi bien que dans l’état de transe, parce que nous avons à faire à une personne qui possède un esprit conscient et un esprit inconscient. »

Erickson désamorce par anticipation des résistances éventuelles

Nous reviendrons sur la toute dernière phrase dans notre prochain article. Mais sur l’aspect général de cette suggestion, notons simplement qu’Erickson ne se contente pas de dire « vous pouvez me faire confiance », ou encore « je ne vous force à rien », ou bien « je ne vous mettrai pas dans une position inconfortable ». S’il l’affirmait tout bonnement, son patient serait bien libre de ne pas le croire. Bien au contraire, il pourrait devenir d’autant plus soupçonneux devant ce docteur qui se presse d’obtenir de lui qu’il relâche sa vigilance. Mieux que cela, Erickson crée une petite expérience afin que le patient lui-même ressente qu’il n’est forcé à rien. Il commence par lui poser une question qui le plonge dans l’embarras. Et alors que le patient développe le désir de ne pas répondre à cette question maintenant, Erickson lui offre exactement ce qui correspond à ce désir intérieur et le soulage ainsi. Cela dit, en le laissant libre d’exprimer les choses au bon moment, il incite fortement son patient à les exprimer de toute façon, tôt ou tard (eventually), mais sans jamais se sentir pressé. Ainsi, celui-ci n’a plus à résister à quoi que ce soit, et rassérénée, peut joyeusement entrer dans l’expérience qui lui est proposée. Erickson désamorce par anticipation des résistances éventuelles.

Résistances consciente et inconsciente

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lus tard dans la conférence, Erickson revient sur la question de la résistance, mais cette fois non plus pour l’anticiper et l’éviter mais bien pour la désamorcer lorsqu’elle se présente réellement. Accomplir des prouesses hypnotiques sur une personne naturellement réceptive à l’hypnose et aux suggestions, sur une personne peu anxieuse de cette expérience et immédiatement à l’aise avec son thérapeute, voilà qui n’est d’aucun mérite techniquement. Erickson conseille toutefois de s’entraîner avec des personnes naturellement réceptives. Cela renforce la confiance de celui qui débute avec l’hypnose, et lui permet de découvrir tout le champ des différents phénomènes qu’autorise la transe hypnotique.

Mais le vrai défi, et qui différencie l’apprenti du professionnel aguerri, c’est lorsqu’il est face à une personne qui, pour une raison ou pour une autre, consciente ou inconsciente, ne se prête pas à l’expérience et développe une réaction lui permettant de s’y soustraire et de ne pas se laisser guider : une résistance.

Pour un médecin comme Erickson, il est fréquent de vouloir administrer une hypnothérapie à une personne qui n’est pas venue le consulter dans ce but, et qui refuse que cette méthode soit employée, ou y répugne. Il est fréquent également d’avoir à traiter avec une personne qui ne souhaite même pas sincèrement être soignée mais se voit contrainte de consulter pour différentes raisons. Cela est propre aux cliniciens. Or beaucoup de ceux qui pratiquent l’hypnothérapie aujourd’hui sont consultés par des personnes précisément désireuses de recevoir ce traitement. Et c’est là une différence non négligeable.

Toutefois, même lorsque le patient est clairement et consciemment volontaire pour l’hypnose, une forte anxiété ou d’autres blocages profonds l’empêchent régulièrement de se prêter l’hypnose. C’est pourquoi la question de la résistance intéresse et parfois inquiète tant les professionnels de l’hypnose thérapeutique.

Un esprit retord

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fin de répondre à cette inquiétude, Erickson donne plusieurs exemples autour d’une même technique qui vise à décharger toute la résistance du sujet en la conditionnant à une variable contextuelle, pour ensuite « libérer » le patient de sa propre résistance en modifiant cette variable.

Pour rendre tout cela parfaitement clair, rapportons un des exemples cité par Erickson lui-même. Un médecin vint un jour le consulter. Déjà par téléphone, Erickson avait pu sentir l’antagonisme de son interlocuteur. A peine arrivé, son patient le mit aussitôt au défi de l’hypnotiser dans une attitude provocatrice qui affirmait sans ambages la volonté de le mettre en échec. Erickson passa plus d’une heure à « essayer » de l’hypnotiser, usant sciemment des méthodes les moins subtiles, les plus directes et autoritaires qu’il connaisse.

Le patient eut largement matière à opposer toute la résistance qu’il avait de toute façon projeté de déployer. Il avait prévu, en quelques sortes, de ne pas offrir à Erickson la joie d’un succès. Erickson ne lui refusa surtout pas cette victoire. Mais après ce long acharnement, il alla chercher une de ses étudiantes qu’il avait invitée pour l’occasion. La fille, très entraînée à l’hypnose, entra à la demande d’Erickson dans un état de transe hypnotique très profond. Erickson lui demanda alors d’hypnotiser elle-même le patient. Erickson attendrait dans la pièce d’à côté qu’elle vienne le chercher quand ce serait fait. Quinze minutes plus tard, elle vint le trouver et il put constater que le patient retord était désormais dans une transe très profonde.

Le patient était venu, nous l’avons dit, avec l’intention de ne pas donner la victoire à Erickson. Mais il n’avait aucun projet quant à la jeune étudiante, d’autant que celle-ci ne cherchait pas obtenir un succès personnel, elle n’avait rien à retirer de cette hypnotisation, elle se contentait d’exécuter, docile, une suggestion hypnotique. Erickson insiste sur le fait que, dans ces conditions, il était quasiment impossible de lui résister car il n’y avait rien contre quoi résister, d’autant qu’elle usa de techniques parfaitement pertinentes.

Depuis Armand de Puységur (1784), on sait à quel point les personnes en état de somnambulisme hypnotique peuvent s’avérer particulièrement compétentes à induire une transe hypnotique sur d’autres personnes, ainsi qu’à leur adresser des suggestions pertinentes.

Le patient n’était pas « résistant » en soi, il était résistant à une personne en particulier dans un exercice particulier

Ce qui est fondamental à comprendre dans cet exemple, c’est que le patient n’était pas « résistant » en soi, il était résistant à une personne en particulier dans un exercice particulier. Et en changeant simplement ces conditions, Erickson a pu lui offrir l’expérience de l’hypnose qu’il réclamait.

Erickson précise : « Je fais souvent mettre mes patients en transe hypnotique par d’autres personnes que moi, en particulier ceux qui sont très résistants et qui ne veulent pas laisser le docteur le faire. En général, j’essaie de faire qu’ils soient aussi résistants que possible à mon égard, afin que je canalise sur moi toutes leurs résistances, n’en laissant aucune pour la personne qui les mettra en transe. »

Canaliser et conditionner la résistance

L

a variable conditionnée à la résistance, cela peut être l’hypnotiseur lui-même, qu’il suffit alors de remplacer, ou n’importe quel autre élément de contexte. Pour illustrer cette méthode, j’aimerais citer un exemple issu de ma propre pratique.

Une jeune femme de vingt-quatre ans est venue me consulter mais ne pouvait pas me dire pour quelle raison. Sa pudeur, ses rougissements, ses insinuations m’indiquaient que son problème touchait à l’intime et probablement à la question de sa sexualité qu’elle évitait soigneusement. Cependant, elle était venue d’elle-même et pour consulter un thérapeute homme, ce qui me laissait croire qu’il en fallait peu pour qu’elle m’accorde une confiance suffisante.

Mais les mots ne sortaient pas. Alors voilà ce que je lui ai dit : « Il y a des mots qui ne sont pas faciles à prononcer en tête à tête, n’est-ce pas ? Surtout quand on se regarde dans les yeux. C’est pour ça qu’on a parfois le regard fuyant, mais pour autant, ça reste délicat quand la personne est là, en face de nous… » Et pendant une dizaine de minutes, nous avons eu cette conversation et cité tous deux plusieurs exemples et expériences personnelles de moments où les mots étaient bloqués par le visage de l’autre devant nous, et comment on pouvait lire ce que l’autre pense dans son regard, dans ses réactions, et parfois dans son absence de réaction.

Pendant dix minutes, nous avons accepté et validé ensemble l’idée que le blocage était lié au visage, au regard. Au départ, elle ne pouvait pas m’exprimer son problème. Et après tout ce temps, elle ne pouvait pas m’exprimer son problème en tête à tête. Ce qui est une toute autre chose. Je lui ai alors demandé de m’excuser pendant que j’allais me servir un verre d’eau dans la petite cuisine qui se trouvait derrière elle, dans une pièce contiguë. Alors que je passais derrière son dos, hors de son champ de vision, je l’ai invitée à continuer de me parler et je lui posais des questions en faisant semblant de m’affairer près du lavabo. Et quand je lui ai demandé ce qui lui posait vraiment problème, elle me l’a exprimé le plus simplement du monde et sans aucune retenue.

Ensuite, je lui ai proposé de fermer les yeux et je suis revenu m’asseoir face à elle. Elle s’est sentie à l’aise tout le temps qu’elle avait les yeux fermés, s’est exprimée librement et s’est avérée particulièrement réceptive à l’hypnose. Au moment de l’inviter à ouvrir de nouveau les yeux, je lui ai dit en substance : « Les yeux ouverts, vous pourrez, si vous le souhaitez, rester pudique, parce qu’on ne dit pas toujours les mêmes choses les yeux dans les yeux que lorsqu’on ne voit pas son interlocuteur. » En effet, le but n’est pas de la forcer à ne plus être une personne pudique, mais d’être capable de dépasser cette pudeur pour exprimer les choses si elle le souhaite et quand elle le souhaite.

La chaise imaginaire

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rickson cite un exemple très similaire où il canalise les résistances du sujet non pas sur lui mais sur l’orientation du sujet dans l’espace. Il lui fait imaginer une chaise au milieu de la pièce et lui fait admettre par toute une série d’évidences, que cette chaise offre une position dans la pièce qui puisse s’avérer propice à le mettre à l’aise et à s’exprimer plus librement. Toutes les résistances du sujet sont canalisées sur la position qu’il occupe actuellement et son orientation dans la pièce et il admet qu’une autre position serait plus appropriée. Avant, il avait quelque chose en lui qui le bloquait. Maintenant, il est tout simplement mal placé dans la pièce. Problème bien plus facile à résoudre. Il suffit pour Erickson de lui demander de décaler sa chaise jusqu’à la place de la chaise imaginaire pour lever ses résistances et qu’il parle librement.

Désorienter pour libérer

E

rickson insiste sur l’importance de l’orientation et de la désorientation. Il est bon, dans un premier temps, d’encourager la perte de certains repères comme les orientations spatiale et temporelle, de l’âge (régression), ou encore les repères de la personnalité (dépersonnalisation). C’est à cela que l’hypnose est utile : elle décentre pour offrir des compréhensions nouvelles.

Une fois l’hypnose obtenue, précise Erickson, la désorientation et la dépersonnalisation sont des phénomènes faciles à induire. Il cite notamment l’exemple d’Harvey, un patient à qui il demande d’imaginer un écran de cinéma sur lequel il voit le diaporama de différents moments traumatiques de sa vie. Mais parfaitement plongé dans sa position de spectateur, il s’oublie complètement, il a oublié qui il est et regarde ces images comme si ce petit garçon, puis ce jeune homme n’étaient pas lui. Il les commente et les discute avec Erickson sans savoir qu’il parle de lui. Il peut développer toute une pensée nouvelle autour de ce destin dont il n’est plus la victime mais un simple spectateur, et trouver ses propres solutions qui resteront disponibles à son entendement même une fois redevenu lui-même, sorti de l’hypnose.

Il y a fort à parier que sans cette dépersonnalisation, ces souvenirs auraient été si forts et si difficiles à revivre pour Harvey qu’il aurait développer une réticence, voire une résistance à une thérapie si frontale.

Détournement général

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orsqu’Erickson expose son idée de l’utilisation, il en décrit bien les deux temps :

  1. valider
  2. utiliser

En effet, il ne s’agit pas seulement de constater ce qui est, mais de le détourner pour que cela devienne un élément qui encourage la suggestion, devienne utile à la situation. Tout comme un musicien ou un comédien qui, improvisant, réagit à son environnement et intègre le moindre imprévu, jamais pris au dépourvu, pour donner l’illusion que tout est parfaitement normal et voulu.

Efforcez-vous d’accepter les idées du patient, quelles qu’elles soient, puis vous essayez de les diriger

« Efforcez-vous d’accepter les idées du patient, quelles qu’elles soient, puis vous essayez de les diriger. » Ici est résumée toute l’approche « utilisationniste » d’Erickson. Si un patient ne veut pas parler, précise-t-il, vous utilisez ce silence, en disant que c’est une parfaite occasion pour l’inconscient de commencer à penser, à comprendre.

« Laissez votre esprit inconscient travailler tandis que vos yeux errent dans la salle, que vous prêtez attention au titre de ce livre, ou au titre de ce livre, que vous regardez le tapis, que vous évitez mon regard, que vous faites attention aux bruits extérieurs ». Le début de la phrase, « laissez votre esprit inconscient travailler », est une injonction et qui ne requiert aucun effort puisqu’il s’agit de « laisser » quelque chose se faire.

Mais comment faire ? La réponse est dans la suite : il suffit de faire ce que vous êtes justement déjà en train de faire. Et Erickson cite alors tout ce qu’il observe que le patient est déjà en train de faire. Il y a ce qu’il y a, et il se passe ce qui se passe. Et tout ce contexte n’est pas forcément utile à un travail inconscient. Pourtant cette simple syntaxe a le pouvoir de transformer ces détails en autant d’occasions, de prétextes, pour un travail inconscient de se mettre en place. Tout devient un élément de la thérapie. Même ce qui devait être une résistance à celle-ci.

Des bâtons dans les roues

C

ette méthode d’utilisation qu’Erickson décrit est suffisante, si on l’applique avec finesse et intelligence, à décharger toutes les résistances. Cependant, dans l’auditoire une question est soulevée à propos d’un cas bien particulier de résistance à l’hypnose et qui pourtant s’avérait fréquent à l’époque : que faire si une personne ne parvient pas à développer une transe hypnotique parce qu’un autre hypnotiseur, dans le passé, lui a donné comme suggestion de ne jamais laisser quelqu’un l’hypnotiser à nouveau dans l’avenir.

Erickson cite alors un exemple amusant. Lors d’un séminaire, il voulut faire une démonstration sur une jeune femme qui semblait bien disposée à s’y prêter. Mais elle exprimait son impossibilité d’entrer dans une transe hypnotique. La façon dont elle disait cela sembla suspecte à Erickson. Elle le disait presque « automatiquement ». Erickson demanda si elle connaissait certains médecins présent dans la salle. Elle répondit en citant d’abord distinctement deux noms, puis d’autres. Puis il lui demanda si elle serait plus à l’aise d’être mise en transe pas ces deux médecins. Elle répondit que oui. Pour lui, il semblait clair que ses deux collègues s’étaient amusé à lui tendre un piège en hypnotisant préalablement cette personne et en lui suggérant en hypnose de ne pas se laisser hypnotiser par le Dr Erickson.

Bien qu’elle n’en gardât pas de souvenir, elle exécutait alors fidèlement la suggestion sans le comprendre. Mais que faire alors ? Erickson lui posa tout simplement une série de questions du genre « Et si ce docteur vous disait cela, est-ce que vous vous sentiriez ainsi ? ». Par ces questions, il orientait mentalement cette jeune femme vers une situation hypothétique où ce sont eux, et non plus lui, qui formulent les suggestions. Et sa résistance fut trompée : elle développa tous les phénomènes hypnotiques désirés.

Encore une fois, la résistance est contournée par l’utilisation : l’utilisation de la mémoire, des souvenirs d’un contexte où la personne était en transe hypnotique. Il lui a suffit de la replonger dans ce contexte, la coupant un peu de l’ici et du maintenant et de ce à quoi elle était supposée résister, pour mieux laisser le souvenir d’une transe devenir une transe de nouveau.

Erickson préconise cet exercice pour les thérapeutes qui apprennent l’hypnose. Une personne hypnotise un sujet volontaire et lui donne comme suggestion « post-hypnotique » – c’est-à-dire qui reste valide au delà de la séance elle-même – de ne pas entrer en rapport hypnotique avec telle personne. Puis, le sujet rencontre cet autre hypnotiseur qui a pour mission de l’hypnotiser malgré cette suggestion, donc, de faire preuve de tout son art pour contourner ou décharger cette résistance induite.

Du début à la faim

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une question sur le temps qu’il consacre à chaque séance, Erickson donne une réponse qui illustre parfaitement à quel point son sens de l’utilisation n’est pas une façon de « manipuler » le patient contre lui-même et de s’offrir des petites victoires mal placées, mais bel et bien un véritable engagement à offrir à l’autre ce qu’il demande en acceptant tout ce qu’il apporte.

Il relate une séance de seize heures d’affilée où il fit halluciner à la patiente ses repas pour ne pas qu’elle ait faim. Mais c’est lui qui fut pris par la faim et se sentit trop faible pour continuer.

Il n’y a pas d’autre contrainte que le rythme qui convient au patient

Une séance peut durer une heure aussi bien que seize s’il le faut. Et il est autant possible de faire une séance par jour pendant plusieurs semaines qu’une séance par mois pendant plusieurs années, en fonction du temps nécessaire au patient pour assimiler, « digérer » dit Erickson, la psychothérapie. Il n’y a pas d’autre contrainte que le rythme qui convient au patient, ce que lui permettait sans doute l’exercice médicale de l’hypnose. Ici, la frontière entre méthode et engagement moral est bien fine.

Permettre de résister

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a sensibilité personnelle transparaît élégamment derrière son exigence professionnelle, comme lorsqu’il dit – puisque nous avons parlé de la façon de gérer les personnes résistantes, il semble de bon aloi de citer sa remarque quant aux personnes qui, bien au contraire, développent immédiatement une confiance suffisante :

« Aujourd’hui et dans l’avenir encore, vous rencontrerez des patients avec lesquels vous avez un rapport immédiat, et vous pourrez alors prendre une attitude dominante. Mais il faut être très prudent. En utilisant des suggestions positives et négatives, vous essayez de rendre possible pour le patient d’exercer sa propre ambivalence pour son bénéfice et pour le vôtre. Il peut souhaiter, et à la fois ne pas souhaiter vous assurer son aide, alors vous essayez de lui expliquer la situation d’une telle façon qu’il puisse recevoir de l’aide dans une direction et refuser de l’aide dans l’autre. Ainsi, le patient devient prêt à vous accompagner ».

Guider, même lorsque la personne est immédiatement disposée à se laisser guider, ne signifie pas « imposer » ou choisir à la place du patient. Les suggestions doivent offrir au patient la possibilité de suivre aussi bien qu’une possibilité permanente de résister. Parfois, c’est même inciter le patient à développer une résistance qui semble « thérapeutiquement pertinent ».

Erickson est clair à ce sujet : c’est la façon dont les suggestions sont formulées qui fait la diffférence entre une approche intrusive et ingérante et une approche parfaitement permissive qui se présente non pas comme une façon d’imposer un chemin mais d’ouvrir de nouveaux chemins – un horizon entier – pour laisser le patient les emprunter librement.

Et c’est cet art de formuler pour guider sans contraindre qui sera l’objet de notre seconde étude de la conférence du Monarch Ocean de Milton Erickson.

L’art du « Et bien soit ! »

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aissons Erickson résumer et conclure :

Vous devez utiliser ce que le patient apporte avec lui dans votre cabinet. S’il apporte de la résistance, soyez-en reconnaissant. Entassez ce qu’il vous apporte de la façon dont il le désire. Empilez tout cela, faites-en un tas. Mais ne soyez jamais écoeuré par la quantité de résistance. S’il vous empéche de les hypnotiser en soupirant, en ricanant, en se balançant sur leur chaise, pourquoi ne pas utiliser tout ça ?

 

Notes :

  • Pour retrouver la transcription de la conférence, « Experiencing Hypnosis: Therapeutic Approaches to Altered States », Erickson & Rossi, publié le 01/08/1981 par Irving Publishers
  • Pour l’enregistrement, il faut trouver les cassettes ou écouter sur vk.com

Antoine Garnier

 
Avatar de Antoine Garnier
Formé à l'hypnose ericksonienne en 2004, c'est d'abord vers les travaux de Milton Erickson et de ses héritiers qu'Antoine Garnier s'est tourné avec avidité en parallèle de sa pratique en cabinet à Paris et de son activité de formateur et d'animateur auprès de différents centres de formation. Puis rapidement, c'est en s'ouvrant aux chercheurs, physiologistes, psychologues, psychothérapeutes et philosophes contemporains, modernes et anciens, aussi bien français qu'anglo-saxons ou soviétiques qu'il a développé une approche personnelle conciliant la théorie du tout-suggestion et la compréhension physiologique des états. Son travail d'accompagnement thérapeutique reste centré sur l'esprit humaniste insufflé par des thérapeutes comme Milton Erickson ou Carl Rogers. Antoine Garnier centre son approche sur l'idée que la plupart du cheminement thérapeutique consiste en un apprentissage et se présente comme une "pédagogie de l'adulte". En parallèle, il travaille sur le développement des capacités et l'accompagnement de l'apprentissage notamment dans la formation des artistes, l'apprentissage des langues étrangères, ou encore la préparation mentale des sportifs. Il consulte dans son cabinet parisien de la rue Dauphine et intervient comme consultant et formateur auprès de divers organismes privés


  • isabella pinar

    Dans le cas d’une trop forte résistance, il m’est arrivé d’intervertir les rôles entre le client et moi. Nous changeons de place, j’évoque alors la même demande que le client et je le laisse faire jusqu’à temps qu’il trouve les solutions lui-même par ses propres suggestions. Au terme de cet échange, je lui demande de me régler la consultation, et là, dépité, il me fait remarquer qu’il n’a pas été hypnotisé ? « Ah, vous vouliez donc entrez en transe hypnotique ? »…

    • http://www.facebook.com/mysterzazoo Rodolphe Hecht

      Trop bien, je pratique l’hypnose aussi, depuis peu, j’aimerais aussi savoir ce que cela fait d’être en trans hypnotique profonde !!! Mais pas encore trouver la bonne personne pour ça.

    • http://www.facebook.com/mysterzazoo Rodolphe Hecht

      Trop bien, je pratique l’hypnose aussi, depuis peu, j’aimerais aussi savoir ce que cela fait d’être en trans hypnotique profonde !!! Mais pas encore trouver la bonne personne pour ça.

      • isabella pinar

        Rodolphe, tu trouves ça bien, mais quelqu’un d’autre a critiqué cette approche. Perso, je me moque des critiques et tout est bon pour avancer avec le client. Il faut être malin et se servir des obstacles comme des trampolings. Enfin c’est que je pense. Pour la transe profonde, je pense pas qu’on peut vraiment savoir la profondeur, et ce n’est pas réellement important pour effectuer des changements. Tout ce que je peux te dire, c’est que je pars en hypnose très facilement, et que pour moi la transe profonde serait juste le fait de se trouver parfaitement bien et confortable dans cet état, sans avoir aucune envie de lutter pour conscientiser. Tu dois pas te mettre en tête à penser à la transe profonde. C’est peut être tes clients qui te posent la question. Si c’est le cas, tu leur dis qu’ils sont en transe profonde et basta ! A leur dire, ils vont le croire et font finir par être en transe profonde. La transe profonde ça serait comme manger un yaourt devant un bon film dans lequel tu es absorbé et ne pas te rendre compte que tu t’en mets plein ton tee shirt !

  • Pingback: Erickson: Technique et Ethique | Réalités HypnotiquesRéalités Hypnotiques

  • jacques

    putain mais il est génial cet article merci,

  • Prudence

    Vous relatez un exemple de suggestion post hypnotique (Erickson cite alors un exemple amusant. Lors d’un séminaire, il voulut faire une démonstration sur une jeune femme qui semblait bien disposée à s’y prêter. Mais elle exprimait son impossibilité d’entrer dans une transe hypnotique. La façon dont elle disait cela sembla suspecte à Erickson. Elle le disait presque « automatiquement ». Erickson demanda si elle connaissait certains médecins présent dans la salle. Elle répondit en citant d’abord distinctement deux noms, puis d’autres. Puis il lui demanda si elle serait plus à l’aise d’être mise en transe pas ces deux médecins. Elle répondit que oui. Pour lui, il semblait clair que ses deux collègues s’étaient amusé à lui tendre un piège en hypnotisant préalablement cette personne et en lui suggérant en hypnose de ne pas se laisser hypnotiser par le Dr Erickson)
    Comment de temps peut persister la suggestion posée par les deux collègues d’Erickson sur la jeune femme ?
    Merci par avance de la réponse